Récit d’un détenu sur son expérience du système de santé
(Traduction libre de l’anglais au français à partir de cet article publié le 25 novembre 2019.)
J’ai pu quitter la prison quelques heures – Ça m’a brisé le cœur
« Lorsque la vanne s’arrête devant les portes arrières de la prison… C’est presque un soulagement. »
Par Byron Case
Les gardes me réveillent en claquant la serrure de la porte coulissante de ma cellule, un bruit un peu comme celui d’un escabeau en aluminium qui tomberait abruptement au sol. Il est marqué 4h17 du matin sur mon alarme. Désorienté par le sommeil, je me demande si je rêve encore. La vérité me revient par étape : la visite à l’hôpital que j’attends depuis si longtemps doit être aujourd’hui. J’étire mon bras vers les pantalons gris et le t-shirt blanc plié sur mon coffre au pied du lit. Ce mouvement était trop soudain. Mon cœur commence à battre, je deviens instantanément nauséeux, mais ça n’a rien de nouveau. En fait, c’est la raison pour laquelle je suis éveillé à cette heure impensable.
Il n’y a qu’un certain nombre de problèmes de santé pour lesquels la prison est équipée à faire face. Les docs d’ici m’ont référé à un cardiologue dans ce que nous appelons avec cette appellation fantaisiste entre prisonniers « le monde extérieur ». Malheureusement, la bureaucratie a pris trois mois et demi remplis d’anxiété pour donner le OK que j’en rencontre un. Apprendre que j’avais été approuvé m’a donné un peu de soulagement, mais je n’avais aucune idée de quand j’allais sortir pour ça. Pour minimiser les chances d’évasions, le « pouvoir qui est » traite comme top secret la date et l’heure de tout voyage en dehors des frontières de l’établissement.
C’est surréel de marcher à travers la cour de la prison alors qu’il fait encore sombre, voir les austères néons découper les ombres dans la nuit et une couple de gardes au loin comme seuls autres humains autour. L’air est frais et doux, mais aussi légèrement épais d’une humidité d’été familière à n’importe qui venant du Missouri. À l’autre bout complètement de l’établissement attend un jeune garde trapu qui m’observe depuis la porte grillagée jusqu’à la zone de transport de la prison. Lorsque je suis assez près, je lui souhaite bon matin. Il ouvre la porte et nous passons les deux à travers.
De ce côté de la clôture, il y a un grand stationnement où des autobus gris pâle viennent chercher des prisonniers pour des transports ou en emmener de nouveaux. Aujourd’hui, à cette heure, il n’est occupé que par deux minivannes : mon lift et son escorte de sécurité. Nous passons sous un abri avec un plafond élevé et entrons dans l’une des nombreuses portes numérotées alignées le long du bâtiment de transports.
Trois autres gardes attendent à l’intérieur, parlant de leur pool de football. Un jeune homme en pantalons orange avec des souliers en caoutchouc attend à côté, menotté aux pieds et aux mains, assis sur un long banc en ciment. Personne d’autre en vue. Ça fait bizarre de voir cet endroit complètement désert. La dernière fois que j’y suis passé, le jour que je suis arrivé ici avec un des bus gris, ça bourdonnait d’activité.
« Mettez vos gris et vos numéros ici ! » dit le plus vieux garde, me tendant un petit sac de poubelle en plastique et pointant vers un truc orange plié sur le banc derrière moi. « Ce une-pièce est pour toi. »
À ce point-ci dans ma « carrière de prisonnier », l’humiliation d’être menotté aux jambes et aux mains, avec une chaîne autour du corps, je ne l’enregistre même plus. Il y en a qui se démènent contre chaque humiliation qu’ils ressentent qu’on leur fait subir, se battent contre le système à chaque détour, avec chaque souffle. Je préfère choisir mes batailles. Une demande polie est tout ce qu’il faut pour que les gardes me donnent l’espace de la largeur d’un doigt dans mes menottes. Même si je ne marcherai pas bien loin, ce sera une journée assez longue pour ne pas devoir subir des menottes me serrant et coupant les poignets à chaque fois que je bouge sur mon banc.
En me fiant à mes expériences antérieures, je prévoyais une attente. Nous nous dirigeons vers les minivannes et en quelques minutes passons à travers les portes de la prison. C’est un nouveau véhicule. Je n’ai jamais vu un compteur de vitesse digital aussi coloré avant. Je réfléchis à ce qu’il pouvait bien y avoir de mauvais avec les compteurs mécaniques lorsque le jeune homme à côté de moi me demande depuis combien de temps je suis dans cet établissement.
« Un an et demi », que je lui réponds. « J’ai fait 16 ans à Crossroads avant ça. »
« T’as eu beaucoup de temps ? »
« Oui, on pourrait dire ça » que je lui dit, avec ce petit sourire qui me vient au visage lorsque je fais un peu d’humour noir, qui date de lorsque je me considérais encore un jeune homme « J’ai pris à vie sans possibilité de libération conditionnelle. »
« Oh, shit… » qu’il répond, puis le silence tombe sur le reste de notre transport jusqu’à la capitale de l’état.
Nous voyageons par une autoroute à deux voies à travers des villages du Midwest avec leurs petites maisons en briques rouges et des commerces avec des noms comme « Aime ton pays » et « Dickey Bub ». Entre ces poches de civilisation pousse des boisés épais avec tellement de pentes et de collines que le pavé qui coupe à travers a l’air zigzaguer comme les barbouillis du crayon d’un enfant fâché. Mon compagnon de banc et moi nous faisons barouetter de tous les côtés, notre estomac remontant dans notre poitrine à chaque pente à pic. Jamais dans ma vie d’adulte je n’ai eu envie d’être malade en voiture, mais après 18 ans d’emprisonnement mon estomac a perdu sa tolérance pour ce genre de mouvements. Je suis convaincu que l’Autoroute Missouri 185 a été pavé par un sadique. Les arrêts pour que les gardes aillent se chercher des liqueurs ou des gratteux sont des sursis bien appréciés.
Trois heures et demie après, on s’arrête à l’entrée de service du centre hospitalier. Les prisonniers sont gardés hors de la vue du grand public autant que possible. Nous sommes assis dans des chaises roulantes, des couvertures sont garrochées par-dessus nos poignets et chevilles, puis je me demande intérieurement si ce geste ne passe pas à côté de la trac. Est-ce que le public, en voyant nos une-pièces oranges qui nous marquent très clairement comme des prisonniers, ne devrait pas être rassuré justement de voir que nous sommes menottés et ne pouvons bouger ?
Peu importe, nous avons notre « moment Hannibal Lecter » alors que les gardes nous poussent à travers les corridors en évitant le monde, à travers la buanderie, un chantier, la morgue, jusqu’à un ascenseur coupé du public où nous attendent deux autres gardes avec un autre prisonnier d’un autre établissement. Le plus gros garde tapote son énorme bedaine « On dirait qu’on va tester la limite de poids » qu’il blague. Rires nerveux.
C’est une dynamique inhabituelle, la manière dont les infirmières et le reste du personnel interagissent avec notre groupe. Ils parlent avec les gardes, échangent des plaisanteries, ne nous mentionnant nous les patients (s’ils nous mentionnent tout court) seulement à la troisième personne, comme si nous étions accessoires à tout ça, ne s’adressant à nous directement que lorsqu’il est question de signer un formulaire ou d’une question sur nos diagnostics. La prison m’a appris à chérir toute conversation significative, alors je ne suis pas tellement triste de manquer ces échanges. C’est seulement intéressant de voir comment nous les hommes en oranges sommes persona non grata même dans ce milieu de soin.
Tout cela change heureusement lorsque je fais mes tests. Les gardes débarrent la chaîne à mon torse et un de mes poignets pour plutôt me sécuriser après un des accotoirs du tapis roulant sur lequel je suis (ce qui doit être l’idée de l’enfer pour quelqu’un quelque part). Ils restent dans la pièce à me surveiller alors que j’essaie de suivre la vitesse épuisante du tapis, tout en étant plugué à des équipements pour suivre mon cœur. Seulement lorsque j’arrive au rythme cardiaque de 178 que le tapis commence à ralentir. Lorsque le test est fini, le cardiologue et moi discutent de la situation.
« Vos résultats ont l’air bien. Évidemment, ce test n’exclut pas la possibilité d’autres conditions cardiaques, comme une maladie coronarienne » que le petit homme affable me dit « Pour ça il aurait fallu qu’ils demandent un test en médecine nucléaire. »
C’était évident que le bon test, alors que mon intense marche sur le tapis roulant aurait été accompagnée d’une injection d’iode et un scan corporel, le test spécifique dont j’avais besoin pour faire un diagnostic pour voir si j’avais une maladie coronarienne… n’est pas celui que le fournisseur pour les soins de santé a approuvé. Frustré par cette perte de temps, je laisse les gardes me remettre toutes mes menottes et la chaîne qui relie mon torse. Puis on me fait rouler de retour dans la salle d’attente désignée. C’est presque midi, ça fait vingt-trois heures depuis la dernière fois qu’on m’a laissé manger, mais notre lunch est dans des sacs en papier brun dans la vanne. Je ne peux pas briser mon jeûne médical obligatoire jusqu’à tant que les docteurs donnent leur rapport aux gardes.
Sur une des plus grosses télévisions que j’ai regardées depuis des années, une LG de 20 pouces sur le mur de la salle d’attente, un film sur les tortures des prisonniers de guerre américains dans les camps de prisonniers japonais apporte un niveau d’ironie difficile à égaler, mais que personne ne semble remarquer. Les rapports prennent une heure et demie à arriver, une attente exacerbée par le fait qu’une personne dans la pièce, à chaque trois à cinq minutes, semblait lâcher des pets silencieux.
Passé le chantier en construction, la morgue et la buanderie, nous roulons encore jusqu’à l’entrée de service et aux minivannes. Le jeune garde ouvre les portes et va chercher nos sacs à lunchs en papier brun alors que le plus vieux nous assoit derrière. L’escorte de l’autre vanne fume.
« Man… » mon camarade prisonnier râle, luttant avec son sac pour arriver à une position qu’il soit accessible, « comment on est supposé manger ça avec seulement une main ? »
Les menottes de transport ne sont pas comme des menottes normales, avec des chaînes faites de petits anneaux. Elles sont articulées au milieu, avec une clip qui va par-dessus, ce qui immobilise les poignets. Vous êtes menottés paumes vers le bas, bras gauche par-dessus le droit, puis tout cet assemblage est ensuite fixé à la chaîne autour du torse.
Manger prend donc une certaine dextérité, mais le plus important est de prévoir ses mouvements en avance. Je montre au jeune homme comment facilement aller chercher la sandwich beurre de peanut-confiture dans le sac a une main, puis une espèce de prise pour ouvrir sa bouteille d’eau. Nous mangeons rapidement, silencieusement, puis retournons à l’observation du paysage.
Je vois des piétons bâillant avec leurs téléphones cellulaires, beaucoup trop de VUS et d’énormes « pickups », la plus petite pharmacie, un panneau publicitaire annonçant la plus grande chaise berçante au monde et les restes d’environ 11 animaux n’ayant pas été assez rapides pour éviter le trafic. Tout cela est triste. Tout cela est « too much », puis en même temps, pas assez. Je voudrais plus pour le monde. Je voudrais plus du monde.
Lorsque la vanne s’arrête devant la porte arrière de la prison, treize heures et demie après notre départ ce matin, c’est presque un soulagement.
Byron Case, 41 ans, fait une sentence à vie sans possibilité de libération conditionnelle, pour un meurtre au premier degré, à l’établissement Eastern Reception Diagnostic and Correctional Center au Missouri. Il publie fréquemment des nouvelles et poèmes dans des journaux littéraires, anthologies et sur son blogue www.pariahblog.com .
Note de l’Éditeur : Le département correctionnel du Missouri a un contrat avec la compagnie Corizon Health pour fournir des soins médicaux dans ses établissements depuis 1992. Corizon, qui opère dans 17 états, a été la cible de centaines de plaintes et procès pour mauvaises pratiques. Corizon n’a pas pu être rejoint pour des commentaires.