Lorsque le VHC accompagne l’insuffisance rénale chronique (IRC)
Actualisant une précédente revue, les recommandations 2018 des bonnes pratiques cliniques dans l’insuffisance rénale chronique (IRC) ont porté sur la prévention, le diagnostic, l’évaluation et le traitement de l’infection par virus de l’hépatite C (VHC) en cas d’IRC. Elles ont intégré l’avancée thérapeutique majeure ayant consisté en l’introduction, en thérapeutique dans la population des patients insuffisants rénaux, des antiviraux à action directe (AAD), qui donnent un taux d’éradication du VHC dépassant 95 %. Ces recommandations se sont basées sur une recherche, dans les principales banques de données scientifiques, des articles parus sur ce sujet en langue anglaise, jusqu’ en mai 2017 ; 125 études ont été éligibles. Au sein d’un ensemble de 66 recommandations, il en a été retenu 32, parmi les plus importantes, qui ont été réparties en 5 chapitres : diagnostic, évaluation du VHC en cas d’IRC, traitement et prévention dans les unités d’hémodialyse, traitement avant et après transplantation rénale, prise en charge des néphropathies liées à l’infection VHC.
Dépister tous les malades dès la prise en charge de l’IR
Le chapitre I porte sur le dépistage et l’évaluation de l’infection à VHC en cas d’IRC. Il est préconisé de dépister tous les malades dès la prise en charge initiale de l’insuffisance rénale (recommandation de niveau 1 C), à l’aide d’un essai immuno-enzymatique (EIA), suivi, si positivité, par une recherche d’acide nucléique ou NAT pour nucleic acid testing (niveau 1 A). On estime qu’environ 5 % des patients en hémodialyse ont un résultat positif en EIA, face à 1 % dans la population générale US. Si besoin, ces tests doivent être répétés chez les patients négatifs restant exposés au VHC, tels que les toxicomanes ou les hémodialysés chroniques. En cas d’insuffisance rénale terminale, le dépistage doit être réalisé dès la mise sous dialyse, par NAT ou EIA complété en cas de positivité par un NAT (recommandation de niveau 1 A). Les tests NAT permettent de confirmer une infection active, mais la pratique d’un EIA suivi éventuellement d’un NAT est une pratique acceptable, offrant une bonne sensibilité et spécificité chez les patients immunocompétents. Le choix entre EIA et NAT est fonction de la prévalence et de l’incidence de l’infection à VHC dans les différents centres, les faux négatifs en EIA tendant à augmenter avec la hausse de la prévalence du VHC. Les patients débutant une hémodialyse à domicile ou mis en dialyse péritonéale doivent également être dépistés (recommandation 2D) tout comme lors de l’évaluation d’une possible transplantation rénale (recommandation 1A).
Place primordiale des AAD
Le chapitre II concerne la thérapeutique. Tous les malades infectés par VHC, dont le débit de filtration glomérulaire (DFG) est classé dans les catégories G1 à G5 ou G5D doivent être évalués en vue d’un éventuel traitement anti viral (recommandation forte, 1A). L’interféron ne doit pas être employé du fait d’un taux élevé d’effets secondaires, une réponse virologique soutenue (RVS) modeste, allant de 37 à 41 % et une contre-indication de son emploi chez les transplantés. Le choix thérapeutique est fonction du génotype viral et de son sous-type, de la charge virale, des traitements antérieurs, des interactions médicamenteuses, du DFG, du degré de fibrose hépatique, de l’éventualité d’une transplantation hépatorénale et de la présence de comorbidités (recommandation 1A). Chez les transplantés, l’analyse des interactions avec les immunosuppresseurs est fondamentale (recommandation 1A) et il importe de surveiller le taux des inhibiteurs de la calcineurine pendant et après traitement par AAD (1 B). Tous les patients dont le DFG est égal ou supérieur à 30 mL/min/1,73 m2 (catégories G1 à G3 b) doivent recevoir un AAD recommandé par la FDA (1 A), ce type d’antiviraux ayant une RVS allant de 90 à 100 % et des effets secondaires réduits. Les malades dont la clairance est inférieure à 30mL /min/m2 doivent être traités par ribavirine, sans AAD.
Lors d’une transplantation rénale, tous les greffons infectés par VHC doivent être évalués en vue d’un possible traitement (1 A). Il faut alors recourir à un protocole à base de AAD (1 A). L’interféron doit être évité (1 A) ; l’on doit, par avance, étudier les interférences avec les drogues médicamenteuses (1 A) et monitorer les taux d’inhibiteurs de la calcineurine. Dans cette situation, le taux de RVS sous AAD dépasse 95 %, voire même a atteint 100 % dans un travail ayant porté sur 114 reins greffés traités par association sofosbuvir-ledispanine, avec 1 % d’arrêt thérapeutique pour cause d’effets secondaires majeurs. Il semble que la plupart des AAD puissent être employés avec sécurité, l’expérience clinique restant toutefois relativement modeste et une surveillance rigoureuse demeurant nécessaire lors de leur administration.
Quand est envisagée une greffe, le choix de la date idéale de traitement d’un candidat à la transplantation doit être décidé en collaboration avec le centre de transplantation (recommandation non gradée). On rappelle que tous les receveurs potentiels doivent être testés également pour le virus de l’hépatite B (VHB) dont la prévalence atteint les 3,0 % dans les centres d’hémodialyse. En effet méconnaître une infection à virus de l’hépatite B lors de l’administration d’AAD expose au risque d’une réactivation fulminante du VHB. Le dépistage du VHB doit comprendre la détection de l’antigène B de surface et du noyau et si besoin, de l’ADN viral.
Problèmes avec la transplantation
Le chapitre suivant aborde les problèmes liés à la transplantation. Il est rappelé que cette dernière reste la meilleure option thérapeutique en cas d’IRC G 5, qu’une infection par VHC soit, ou non, présente (recommandation 1 A). Le choix de débuter le traitement anti viral, avant ou après la greffe, est fonction du type de donneur (vivant ou décédé), de l’importance de la liste d’attente, des protocoles spécifiques des centres de transplantation, du génotype VHC et de la sévérité de la fibrose hépatique (recommandation non classée). Dans tous les cas, les patients doivent se voir proposer l’administration d’AAD, avant ou après la transplantation (1 A). En cas de donneur vivant, la date du traitement dépend du génotype et de la plus ou moins grande rapidité de la transplantation (2 B). Il est suggéré qu’une greffe de donneur VHC- améliore les chances de la greffe. Dans l’hypothèse d’un greffon VHC+ sur un receveur NAT+, le traitement antiviral doit être débuté après la transplantation (recommandation 2 B). En cas de donneurs vivants VHC+, après appréciation du degré de fibrose hépatique, ceux-ci doivent être traités avant la greffe, jusqu’ à RVS (pas de classement de la recommandation). Au total, il apparait donc qu’une infection par VHC ne représente pas une contre-indication à une éventuelle transplantation, mais expose à une mortalité accrue, à une perte de greffon, de diabète post transplantation et de glomérulopathies.
Et les néphropathies liées au VHC
Le chapitre V aborde les néphropathies liées au VHC. Il est recommandé de débuter un traitement chez tous les patients présentant une glomérulopathie associée au VHC (recommandation 1A). Ceux dont la fonction rénale est stable et/ou avec une protéinurie non néphrotique doivent recevoir un traitement par AAD (recommandation 1 C). En cas de cryoglobulinémie, de syndrome néphrotique ou d’insuffisance rénale rapidement progressive, la thérapeutique doit associer AAD et immuno suppresseurs, complétée éventuellement par des échanges plasmatiques (niveau 1 C). En effet, les immunosuppresseurs sont préconisés en cas de glomérulopathie associée au VHC, histologiquement active, ne répondant pas à la thérapeutique habituelle et particulièrement en cas de maladie rénale à cryoglobuline (1 B). Le rituximab est alors utilisé en première ligne (recommandation 1 C). Là encore, il est indispensable de tester une éventuelle hépatite à HBV pour éviter une réactivation et une possible hépatite fulminante.
En résumé, il est nécessaire de dépister une possible infection à VHC dès le stade initial d’une néphropathie chronique. Des travaux futurs devront déterminer si un traitement par AAD en cas de positivité est à même de ralentir la progression vers l’IRC terminale. Après transplantation, la fonction rénale du greffon doit faire l’objet d’une surveillance étroite en cas d’administration de AAD.
Dr Pierre Margent
Référence : Gordon C E et coll. : Prevention, diagnostic, Evaluation and Treatment of Hepatitis C Virus Infection in Chronic Kidney Disease. Synopsis of the Kidney Disease Improving Global Outcomes 2018 Clinical Practice Guideline. Annals of Intern Med., 2019 ; publication avancée en ligne le 24 septembre. doi: 10.7326/M19-1539.